Il y a cinquante ans en 1971, les Suissesses obtiennent le droit de vote et d’éligibilité sur le plan fédéral. Le même objet mis en consultation quelques années auparavant en 1959 est balayé à 66.9% et accepté par trois cantons seulement. Alors que dans la plupart des pays européens le suffrage féminin est acquis à la même époque, la Suisse fait figure d’exception.
Toujours en 1959 paraît la 2e édition d’un ouvrage rédigé par le Département militaire fédéral intitulé Le livre du soldat : sois vigilant et fort : ton pays sera libre ! Tiré à 940’000 exemplaires, il est distribué à la troupe de 1958 à 1974. Outre des chapitres de culture générale sur la Suisse et d’instruction militaire, on y trouve 4 pages consacrées au « rôle de la femme dans le pays ».
Le conservatisme social est une idéologie. Il donne sa définition de la famille et détermine les rôles qui incombent à chaque sexe. Dans ce texte, une génération entière de jeunes recrues s’est vue proposer comme référence éducative un modèle sociétal particulièrement traditionnel. La question de l’éducation à l’égalité des droits revêt une importance toute particulière lorsqu’elle est abordée par les organismes publics.
« La femme est d’abord la gardienne du foyer.
L’homme est à l’usine, aux champs, à l’atelier, au bureau ; il voyage ; il est absorbé par la vie professionnelle, politique, sociale, militaire ; il se voue au sport ; il est enrôlé dans dix, vingt sociétés ; il se doit à ses amis, à ses connaissances…
La femme, vigilante, est au foyer. […] Bien qu’elle ne possède pas encore le droit de vote, elle s’intéresse aux affaires publiques, parce que personne mieux qu’elle ne connaît les difficultés pratiques de la conduite d’un ménage et elle sait bien que la conduite d’un Etat n’est pas autre chose que la conduite d’un grand ménage. […] Pendant que des centaines de milliers d’hommes gardaient les frontières, durant le dernier conflit mondial, la femme assura la relève avec gentillesse, courage, héroïsme, au besoin. […] Pourtant, c’est encore au foyer que la femme sert le mieux son pays. Là, elle est indispensable, elle est irremplaçable. […] Non, la femme n’est pas l’égale de l’homme. Cette égalité [sic] grossière que réclament certains démagogues s’exercerait au désavantage de la femme. L’homme et la femme ne sont pas égaux, mais complémentaires. […] Et c’est au foyer qu’elle peut le mieux s’épanouir parce que c’est là, dans les temps normaux, qu’elle peut exercer tout à la fois les vertus de son âme, les élans de son cœur et les grâces de son esprit. »[1]
Nous ne sommes plus en 1959 ni en 1971 mais le débat sur l’égalité est toujours d’actualité !
[1] Le livre du soldat : sois vigilant et fort ; ton pays sera libre ! [publ. par le Groupement de l’instruction par ordre du Département militaire fédéral] ; [dir. et présentation: Richard Merz, Albert Bachmann] ; [principaux réd.: Maurice Zermatten … et al.], Berne : Office central des imprimés et du matériel, 1959, pp. 58-61.