De près ou de loin, nous avons tous été touchés par la crise induite par le Coronavirus en cette année 2020. Distanciation sociale, gestes barrières, confinement, etc. : aucune de ces mesures ne nous a épargnés. Si les conditions de travail ont été également bouleversées par cette situation, nos réflexions de bibliothécaires se sont enrichies, de manière un peu inattendue en ce qui me concerne…
L’influence de la situation ne s’arrête pas à quelques réalités matérielles : des titres de livres attirent notre attention, le sujet des pandémies ne nous laissent plus indifférents. C’est pourquoi certains de mes collègues ont mis en valeur une partie de leur collection sur Renouvaud, dans une sélection intitulée Epidémies, pandémies, allégorie.
De même, certains universitaires se sont penchés sur le sujet des épidémies au sein de leur propre discipline. C’est le cas, notamment, de Giuseppina Lenzo (IASA) et de Christophe Nihan (FTSR), qui ont partagé leurs travaux sur les épidémies antiques par le biais d’un article paru le 23 juin dernier dans Viral, ce blog consacré aux réflexions de chercheurs de l’UNIL sur la crise du COVID-19. Cet article, intitulé « Le rôle des dieux dans les épidémies antiques : à propos de la déesse Sekhmet en Égypte et du dieu Resheph dans le Levant », démontre une dualité complexe des dieux dans le polythéisme antique : tant la lionne Sekmet que le dieu-archer Resheph sont associés aux maladies mais aussi à leur guérison et leur prévention.
Le texte de nos chercheurs met en valeur un des aspects fondamentaux des religions antiques : la maladie n’est pas un simple phénomène médical mais s’insère dans un système de pensée plus complexe qui ne sépare pas maladie et religion, pratique rituelle et pratique médicale. Une bibliographie sélective sur le sujet se trouve également sur Renouvaud.
A noter notamment l’article d’Anne Bielman Sánchez et Lara Dubosson-Sbriglione (IASA) , toujours sur Viral (6 mai 2020), et intitulé Epidémies antiques. Elles y dépeignent la perception que les Anciens avaient des épidémies du 8e siècle avant notre ère au 2e siècle de notre ère : de la colère d’Apollon dans le camps grec lors de la Guerre de Troie à la « peste antonine » qui sévit dans tout l’Empire romain dès l’an 165 de notre ère, nos auteures dressent la résilience des populations antiques.
De mon côté, j’ai fait l’acquisition d’un ouvrage pour les collections de l’Unithèque en Sciences de l’Antiquité sur un sujet approchant : After the crisis. Remembrance, re-anchoring and recovery in ancient Greece and Rome, édité par Jacqueline Klooster et Inger NI Kuin en 2020, dont vous trouverez un commentaire en fin de page.
Mais que contiennent les rayons de l’Unithèque sur les pandémies de la période antique ? Si une partie de la collection de philologie classique est dédiée à la médecine antique (ouvrages portant l’indice 87.09-961), sujet de recherche de plusieurs universitaires lausannois, je vous propose pour ma part un petit tour d’horizon d’ouvrages commentés grâce aux quatrièmes de couverture…
Air, miasmes et contagion : les épidémies dans l’Antiquité et au Moyen Age, études réunies par Sylvie Bazin-Tacchella, Danielle Quéruel et Evelyne Samama, 2001. S’appuyant sur l’examen des traités médicaux d’Hippocrate et de Galien et sur les témoignages des historiens Thucydide et Procope, les auteurs étudient dans cet ouvrage comment se construit et se développe un discours médical à la suite des grandes épidémies de lèpre et de peste.
L’idée de contagion a en effet constamment obsédé les auteurs anciens et les a amenés à réfléchir sur le miasme antique, les manifestations de la pestilence, le rôle de l’air corrompu, les rapports entre la météorologie ou l’astronomie et la maladie. Les hommes de l’Antiquité au Moyen Âge, ces derniers s’appuyant sur le savoir antique, ont cherché et proposé des réponses et des raisons d’espérer.
Plague and the end of antiquity: the pandemic of 541-750, édité par Lester K. Little, 2007. La peste a été un facteur clé du déclin de l’Antiquité et du début du Moyen Âge. Huit siècles avant la peste noire, une pandémie de peste a envahi les terres entourant la mer Méditerranée et s’est finalement étendue aussi loin à l’est que la Perse et aussi loin au nord que les îles britanniques. Elle a persisté sporadiquement de 541 à 750, période qui a vu la formation de l’Empire byzantin, de la papauté romaine et du monachisme, les débuts de l’islam, l’expansion fulgurante de l’Empire arabe ainsi que l’ascension de la dynastie carolingienne en Gaule.
Dans ce volume, douze chercheurs de diverses disciplines – histoire, archéologie, épidémiologie et biologie moléculaire – ont produit un compte rendu complet des origines, de la propagation et de la mortalité de la pandémie, ainsi que de ses conséquences économiques et sociales et des effets politiques et religieux. Les historiens examinent les sources écrites dans toute une gamme de langues, y compris l’arabe, le syriaque, le grec, le latin et le vieil irlandais. Les archéologues analysent les fosses funéraires, les villages abandonnés et les projets de construction avortés. Les épidémiologistes utilisent les sources écrites pour suivre les moyens et la vitesse de transmission de la maladie, le mélange de vulnérabilité et de résistance qu’elle a rencontré et les schémas de réapparition au fil du temps. Enfin, les biologistes moléculaires, nouveaux venus dans ce type d’enquête, sont devenus des pionniers de la paléopathologie, cherchant des moyens d’identifier des agents pathogènes dans les restes humains d’un passé lointain.
Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale : recherches sur la réalité pathologique dans le monde grec préhistorique, archaïque et classique, par Mirko D. Grmek, 1983. Ce livre n’est pas une histoire de la médecine, c’est une histoire des maladies et de leur impact sur le mode de vie des premières sociétés occidentales.
Son propos est de découvrir la réalité biologique et pathologique qui a déterminé les plus anciens discours européens sur la morbidité. Bien que l’étude soit limitée à la Méditerranée orientale, elle déborde de ce cadre géographique et aboutit à des conclusions concernant l’ensemble des pays occidentaux. Les textes grecs, d’Homère à Hippocrate, fournissent des témoignages fondamentaux, mais leur lecture médicale est ardue : pour vaincre les opacités et les pièges du langage, il faut faire appel à des sources non littéraires. L’originalité de ce livre consiste précisément dans cette approche multidisciplinaire et dans la mise au point de plusieurs nouvelles méthodes d’investigation médico-historique.
After the crisis. Remembrance, re-anchoring and recovery in ancient Greece and Rome, édité par Jacqueline Klooster et Inger NI Kuin, 2020. Les crises résultant de la guerre ou d’autres désordres bouleversent la vie des individus et peuvent laisser des traces dans une communauté pendant de nombreuses années après l’événement. Les crises peuvent-elles servir de catalyseurs pour l’innovation ou le changement, et comment cela fonctionne-t-il ? Que révèlent les crises sur la « normalité » contre laquelle elles sont définies et encadrées ? Les personnes vivant dans des sociétés sortant d’une crise n’ont d’autre choix que de s’adapter aux changements provoqués par la crise. Une telle adaptation pose la question de savoir comment se construit la relation entre la situation d’avant la crise et le nouveau statu quo, et par qui. En raison de la possibilité réduite d’utiliser le passé immédiat, qui est entaché de conflits et de mauvais souvenirs, cela peut impliquer des révisions des récits historiques sur le passé et les identités communautaires, à travers la sélection de nouvelles « ancres », et parfois même un rejet de l’ancien. Les crises affectent tous les domaines de la vie, et la reprise de crise s’étend également à différents domaines.
Ce volume trouve des traces de ces stratégies de récupération dans des textes ainsi que des représentations visuelles, dans les textes littéraires et documentaires, dans l’idéologie officielle autant que dans les réponses subalternes. Les contributeurs rassemblent les témoignages diversifiés de ces manières de faire face qui ont survécu à l’Antiquité.
Pour poursuivre l’exploration, consultez notre sélection sur Renouvaud !
Evelyne Barman Crotti, site Unithèque
Epidémies et AntiquitéSekhmet et Resheph