Le 25 mai 2020, Georges Floyd, citoyen afro-américain de 46 ans, est mort à Minneapolis, États-Unis d’Amérique, suite à de graves violences policières. Dans les tourmentes populaires et éditoriales qui ont suivies ce tragique événement, le site Antiquipop a attiré mon attention sur une réalité affligeante : le lien entre l’Antiquité et le racisme, l’Antiquité et le fascisme, j’en passe et des meilleures.
Interpellée, je vous propose un petit tour d’horizon, du lointain au plus proche de nous, de ce que j’ai pu glaner sur le sujet.
Pharos
Au sein du Département des Greek and Roman Studies du Vassar College dans l’État de New York, le site de Pharos annonce clairement la couleur : « Pharos is a platform where classical scholars, and the public more broadly, can learn about and respond to appropriations of Greco-Roman antiquity by hate groups online. » Des articles y sont régulièrement publiés, comme Racist Commemoration of Greco-Roman History as White History, 26 juin 2020 ou Anti-Semites Enlist Cicero Against Anti-Racism, 27 mai 2020.
Ne cherchant pas à changer l’esprit de ceux qui utilisent l’Antiquité pour soutenir leurs idéologies racistes, les contributeurs du site ont pour objectif, notamment, d’exposer les erreurs, les omissions et les distorsions qui sous-tendent les interprétations de ces groupes.
Antiquipop
Le site d’Antiquipop décode les références à l’Antiquité dans la culture populaire contemporaine. En juin 2020, Fabien Bièvre-Perrin, docteur en Histoire et Archéologie de l’Université Lumière Lyon 2, publie un billet nommé Antiquité, racisme et xénophobie dans lequel il fait une longue recension des ressources en ligne sur ce sujet, en français et anglais.
Le lecteur intéressé y trouvera une bibliographie d’articles et d’ouvrages scientifiques, des articles de presse, des billets de blog mais surtout de nombreux liens vers des émissions récentes et des podcasts.
Musées
Le 2 juin dernier, Lionel Pernet, directeur du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire à Lausanne, publie sur LinkedIn un article nommé Musées, racisme et Palais de Rumine. Les événements liés au décès de G.Floyd à Minneapolis l’ont incité à publier plus rapidement que prévu son papier sur la décolonisation des Musées.
Il conclut son analyse par l’annonce d’une prochaine exposition au Palais de Rumine en septembre 2020 : Exotic ?. « Plus de 150 objets, peintures et ouvrages venant de toute la Suisse, datés entre 1650 et 1815, refléteront la manière dont l’Ailleurs s’est construit dans l’imaginaire collectif suisse et comment, en retour, la Suisse a aussi été « exotique » pour le reste de l’Europe, avec ses crétins des Alpes, ses monstres et ses merveilles. Un aller-retour qui doit nous inciter à un pas de côté pour nous demander encore et toujours, de qui nous sommes les sauvages et de quel droit nous considérons les Autres plus sauvages que nous… Le Musée ne nous guérira pas seul de la xénophobie, mais il peut, avec d’autres lieux de culture, contribuer à lutter contre le racisme ordinaire.»
Bibliographie sur Renouvaud
Voici ensuite quelques ressources que nous trouverons plus près de nous, dans notre bibliothèque, commentées grâce aux quatrièmes de couverture :
- Black Athena : les racines afro-asiatiques de la civilisation classique, par Martin Bernal, 1996-1999. Dans ce travail, l’auteur propose une réinterprétation radicale des racines de la civilisation classique, affirmant que la culture grecque antique est dérivée de l’Égypte et de la Phénicie. Selon lui, les études des savants européens ont été biaisées par le racisme endémique des Européens du XIXe siècle qui ne pouvaient accepter l’idée que la société grecque avait ses origines en Afrique et en Asie du Sud-Ouest.
- Black Athena revisited, édité par Mary R.Lefkowitz, 1996. La civilisation occidentale a-t-elle été fondée par les anciens Égyptiens et Phéniciens ? Les anciens Égyptiens peuvent-ils être appelés noirs ? Les Grecs de l’Antiquité ont-ils empruntés leur religion, la science et la philosophie aux Égyptiens et aux Phéniciens ? Les universitaires ont-ils ignoré les racines afro-asiatiques de la civilisation occidentale en raison du racisme et de l’antisémitisme ? Dans ce recueil de vingt essais, d’éminents chercheurs d’un large éventail de disciplines confrontent les affirmations de Martin Bernal.
- Le national-socialisme et l’Antiquité, par Johann Chapoutot, 2008. Cet ouvrage décrit l’utilisation de l’Antiquité grecque et romaine par le régime nazi à des fins de propagande, par l’utilisation constante de l’Antiquité classique dans les discours officiels, les films, l’architecture étatique, la presse et les festivités parrainées par l’État.
- Athènes vue par ses métèques : Ve-IVe siècles av. J.-C., par Saber Mansouri, 2011. Instable comme un «oiseau migrateur» à la recherche de la belle saison et du grain, immature comme un «enfant», telles sont les images qui viennent à Aristote et Platon pour évoquer le métèque, c’est-à-dire l’étranger qui vit et travaille avec le citoyen à Athènes aux Ve et IVe siècles avant J.-C. Et pourtant, à l’inverse du discours classique, Saber Mansouri donne à lire une cité athénienne où les métèques vivent, travaillent, font la guerre et expriment leur attachement à la cité. L’auteur déconstruit donc la figure d’un métèque imaginaire ou modernisé, un métèque qui serait uniquement attiré par les gains, versatile, toujours prêt à trahir et devant en conséquence être surveillé de près. Par cette approche, qui invalide le discours d’idéologues modernes puisant dans l’histoire les sources de la discrimination raciale, juridique et culturelle entre citoyens et étrangers, les métèques, bons ou mauvais, sont rendus à leur polis et à leur temps. Eux aussi sont Athènes. Jamais ils n’ont été confrontés à nos concepts contemporains de tolérance, de racisme ou de xénophobie. Ils participent pleinement à l’équilibre politique et social de la démocratie athénienne. Ils peuvent ainsi dire publiquement, selon les mots d’Aristophane : « Nous voulons habiter avec vous, nous avons envie de vos lois. »
Pour poursuivre l’exploration, consultez notre sélection sur Renouvaud !
En préparation
Pour conclure, vous trouverez bientôt dans les rayons de votre bibliothèque Race: Antiquity and Its Legacy, de Denise Eileen McCoskey, 2012. Comment différentes cultures pensent-elles à la race ? Les Grecs et les Romains n’ont pas utilisé la couleur de la peau comme base pour catégoriser la disparité ethnique, selon notre auteur. Ce livre provocateur explore avec audace les matrices complexes de la race à travers l’épopée, la tragédie et le roman.
Également à venir, Contre les barbares. Comment l’Antiquité peut nous apprendre l’humanité, de Maurizio Bettini, 2020. Notre chercheur enquête chez les auteurs grecs et latins pour redonner du sens à notre conception des droits de l’homme. « Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m’est étranger », disait le poète latin Térence.
Evelyne Barman Crotti, site Unithèque
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