Retour aux articles

Hommage à Philippe Jaccottet

Philipe Jaccottet et José-Flore Tappy à Grignan, 2012

Philipe Jaccottet et José-Flore Tappy à Grignan, 2012
photo: Christophe Gallaz


« S’approchant de la mort, il faudrait pouvoir s’y adosser pour ne plus voir que le vivant. »

La Semaison, 1991

Poète d’envergure internationale, mais aussi traducteur et critique littéraire, Philippe Jaccottet est avec Rousseau, Ramuz et Cendrars, l’un des quatre auteurs suisses publiés dans la « Bibliothèque de la Pléiade », et l’un des rares à l’avoir été de son vivant. Nous avons pu nous entretenir avec José-Flore Tappy, chercheuse et poète, qui a dirigé l’édition des Œuvres de Philippe Jaccottet à la Pléiade.

Vos chemins de vie sont indéniablement liés. Quel est votre premier souvenir de Philippe Jaccottet ?

La découverte du recueil Airs, en 1970, lorsque j’étais gymnasienne – puis la lecture de Paysages avec figures absentes, deux livres qui révolutionnent la poésie telle que nous la connaissions par l’école. Un auteur soudain nous parlait dans la proximité, sans aucune hauteur, presque en confident, à partir du visible et sans idée préliminaire. Jaccottet regarde avant de penser, puis va et vient entre ses réflexions – le plus souvent interrogatives – et la description attentive de ce qui l’entoure. Avant toute chose : le regard, et le paysage, le monde concret ; un contact intime avec le réel dans ce qu’il a à nous dire.

En fin 2020, Philippe Jaccottet a décidé de faire une donation de manuscrits à la BCUL. Quel était pour lui l’importance de ses archives ?

A vrai dire, une importance minimale. Mais tout de même… Il faut rappeler que c’est à l’initiative de Jean-Pierre Clavel, alors directeur de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, que Jaccottet accepte de déposer à la Bibliothèque en 1969 un premier manuscrit, celui de Leçons (Payot, 1969). Ce premier geste a été suivi de la remise régulière au fil du temps de tous ses manuscrits, sous l’égide de J.-P. Clavel, d’une grande sensibilité littéraire, puis de son successeur Hubert Villard.

Jaccottet n’a jamais prêté attention à son propre travail, une fois le livre paru. Peu lui importait de conserver ses papiers. Mais il respectait aussi l’intérêt des chercheurs, dans la mesure où ils n’allaient pas monter en épingle des ébauches, des brouillons, des notes prises au jour le jour. Il détestait cet intérêt pour le moindre bout de papier, où le chercheur universitaire exploite l’inédit aux fins de valoriser ses travaux. Inutile, d’ailleurs, de chercher dans ses archives les clés de son œuvre. Ses manuscrits n’ont d’intérêt que rétroactivement, pour étayer des intuitions de lecture, affiner des observations, illustrer le bien-fondé de certaines perceptions suggérées par les textes eux-mêmes.

Vous avez vu Philippe Jaccottet au travail et vous l’avez accompagné dans la publication des derniers volumes qui viennent de sortir sous son nom. Qu’est-ce qui était marquant dans sa manière de travailler ?

Il tâtonne, oscille, hésite, ose une image puis la retire, formule une question sans y répondre, pèse le pour et le contre… Le poète n’est pas quelqu’un qui affirme, enchaînant des trouvailles, des métaphores, pour servir la beauté… il avance prudemment, sans certitudes, faisant de cette quête incertaine le sujet même de ses livres. Et puis, on notera qu’un poète de sa dimension se consacre à beaucoup d’autres activités que la poésie… voilà qui donne à réfléchir.

Trois nouveaux livres viennent de sortir. Pouvez-vous nous donner un petit aperçu ?

Trois livres, et trois écritures très différentes… des poèmes, une prose, et des textes sur l’art. Voilà réunies trois faces de l’auteur devenues avec le temps indissociables : le commentaire, le vers et la prose. Plus les années passeront, plus les genres se mettront à dialoguer chez Jaccottet, parfois dans un même livre mêlant étroitement observations, réflexions et lectures. Le dernier texte, La Clarté Notre-Dame, en prose, fait entendre la voix d’un homme démuni devant l’imminence de sa mort, et qui affronte cette échéance avec une totale lucidité. C’est un texte saisissant par son extrême clarté, une clarté parfois crépusculaire mais jamais confuse ni approximative. L’auteur regarde la vie en face, la violence du monde, insoutenable, mais aussi ses moments d’éblouissement, ceux qui l’ont porté à travers l’existence.

Le service des Manuscrits de la Bibliothèque cantonale et universitaire – Lausanne a complété au fil des années sa collection de manuscrits de Philippe Jaccottet qui a été augmentée par une généreuse donation en fin 2020 de l’auteur lui-même.

Vous pouvez emprunter les livres de Philippe Jaccottet à travers Renouvaud ou trouver une sélection sur eLectures.