Un nom : Alexandre.
Et pas n’importe quel Alexandre !
Le Grand, Iskander, Skander, Ἀλέξανδρος ὁ Μέγας, encore et toujours… jusqu’à ce livre au titre iconique, Qui nous délivrera d’Alexandre le Grand ?
Un grand nom et un prénom encore très répandu de nos jours, au masculin ou au féminin : il a toujours bien plus de succès que son comparse Ptolémée ou que son précepteur Aristote !
323 avant notre ère – 2023 : pas vraiment une date anniversaire, toutefois une date qui titille l’imagination.
A lire les biographies sur le célèbre jeune roi mort trop tôt à Babylone du haut de ses 33 ans un 13 juin de la 13e année de son règne, nous sommes pris de vertige : c’est une hécatombe qui suit son chemin de Pella en Macédoine (il en est le roi légitime) à l’Indus (limite atteinte de son périple). Tant de peuples passés sous son joug, tant de massacres également.
S’il m’était resté l’image d’un grand explorateur, c’est à la pointe de son glaive qu’il a voyagé, avec ses soldats et ses dieux.
Détail de la mosaïque d’Alexandre le Grand, Maison du Faune, Pompéi, Musée d’archéologie national de Naples
N’oublions pas les affres de la guerre menée par ce grand (à n’en point douter) conquérant. Explorons les contacts, les prémisses des échanges qu’il a permis avec l’Inde ancienne par notre sélection d’ouvrages issus des collections des sciences de l’Antiquité et de Langues orientales.
Jusqu’aux frontières d’Alexandre : Inde, Pakistan, Iran
L’immense influence du Grand Alexandre va bien au-delà de ce qu’il accomplit en vie, et traversa les siècles et les cultures.
Aśoka Maurya : le premier grand empire de l’histoire indienne
Le premier héritage qu’Alexandre légua au monde indien fut indirect, et façonna l’histoire du sous-continent entier : il s’agit de la figure d’Aśoka Maurya, premier unificateur du territoire qu’on appelle aujourd’hui « Inde ». Habile stratège, il entra sur la scène politique après le départ du conquérant, comblant le vide de pouvoir laissé par ce dernier et arrivant ainsi à créer un empire s’étendant de Taxila au nord jusqu’à l’extrême sud de la péninsule. Une influence tellement durable que les piliers commémoratifs dont il sema son empire (certains aussi en version plurilingue, où figure aussi du grec) sont devenus, quelques millénaires après, le symbole de la République Indienne qui, au moment de sa fondation, choisit le chapiteau de Sarnath pour accompagner sa devise sanskrite satyameva jayate, « la vérité seule triomphe ».
Chapiteau aux lions de Sarnath, époque Maurya, autour de 250 avant notre ère
Le Gandhāra
La culture grecque n’abandonna pas le monde indien avec celui qui l’amena sur la pointe de sa lance, et plusieurs royaumes hellénistiques se constituèrent et se succédèrent dans ce qui sont aujourd’hui l’Inde du nord, le Pakistan et l’Afghanistan. C’est dans cette région qu’a eu lieu un phénomène d’hybridation culturelle fascinant : dans les zones de frontière où monde grec et monde indien se côtoyaient, des sociétés nouvelles et syncrétiques surgirent. La plus connue, et celle où les éléments de fusion sont les plus évidents, est sans doute celle du Gandhāra. Mélange étonnant de sensibilité indienne et grecque, cette région à cheval entre Afghanistan et Pakistan a vu la naissance, entre autres, des premières représentations humaines du Bouddha à l’évident style hellénistique.
Bouddha du Gandhāra, 1er – 2ème siècle de notre ère, Tokyo National Museum
Le Milindapañha, « Questions de Milinda »
Ceci n’est pourtant pas le seul cas où un produit culturel de forme grecque mais au contenu indien nait dans ces royaumes. Environ à la même période (début de l’ère chrétienne) et dans la même région, un dialogue presque socratique fut rédigé en langue pāli entre le moine bouddhique Nagasena et le roi Milinda, personnage assimilable (ou au moins fortement inspiré) au roi Ménandre Ier, souverain d’un de ces royaumes indo-grecs. Le Milindapañha, « les questions du roi Ménandre » (« Milinda » en pāli), devenu par la suite un texte capital pour plusieurs traditions bouddhiques, relate une « session de questions/réponses » à propos des grands thèmes du bouddhisme, et qui, selon la tradition, se révéla efficace au point de causer la conversion du régnant.
Portrait de Ménandre 1er Soter, monnaie, 155-130 avant notre ère
L’Iskandarnamah et le Shahanameh
C’est pourtant dans le monde persan que la figure d’Alexandre a été interprétée et appropriée de façon plus inattendue. Considéré dans un premier temps comme l’ennemi par excellence par la Perse zoroastrienne, qui voyait en lui le responsable de la chute de l’empire Achéménide et des siècles de domination étrangère, sa figure prend une tout autre place dans l’imaginaire de l’Iran islamique.
Deux textes qui, par leur importance au sein de la culture persane, canonisent définitivement la figure du conquérant macédonien, en sont la preuve. Il s’agit de l’Iskandarnamah, cinquième livre de l’illustre Khamsa de Nezami, et du Shahanameh, la chronique par excellence des rois de l’origine des temps jusqu’à la dynastie sassanide, rédigée par le père de la littérature persane Ferdowsi. Dans ces textes Alexandre, dernier représentant de « l’âge des héros », devient une figure mythique : il est chercheur de vérité et de connaissance, vocation qui le pousse au bout du monde où, après plusieurs péripéties, un arbre de têtes humaines, le waq waq, lui prophétise sa mort. Une mort qui, finalement, arrive pour ce souverain de la même façon que pour le plus commun de ses sujets. On a à faire à une histoire exemplaire et extrêmement puissante, emblème de l’ambition humaine et de sa vanité, et memento mori adressé à tout être humain, peu importe sa place dans le monde.
« Bataille entre Alexandre et Darius », Folio 279 du Khamsa de Nezami illustré par le sultan Sultan Muhammad Nur, 1524–25,
Metropolitan Museum of Art, New York
L’importance du Shahnameh ne peut pas être sous-estimée à l’intérieur de la tradition persane, au point que tous les régnants successifs à sa rédaction ont fait de sa préservation et perpétuation un point de prestige et de légitimation. Pour cette raison on dispose aujourd’hui de plusieurs versions de ce texte, provenant de différentes périodes et lieux, comme cette version ilkhanide de Tabriz (XIVème siècle).
Le cercueil d’Alexandre le Grand, tiré du Shâh Nâmeh Demotte, 1328, Freer Gallery of Art
Alexandre le Grand, un nom mais aussi un succès de librairie (et de bibliothèque) ! à découvrir du 13 juin au 13 juillet à l’Unithèque.
Evelyne Barman Crotti et Gabriele De Franco, Collections d’Antiquité et Langues orientales
Le Grand Alexandre dans nos collections