Photographie de Gaston Cherpillod, fin des années 1930
Fonds photographique Gustave Roud / Subilia, IS 5336-03971
Le Fonds photographique Gustave Roud / Subilia est maintenant disponible sur Patrinum et, pour mieux situer ce poète et photographe, nous avons pu nous entretenir avec Stéphane Pétermann, chargé de recherche au Centre des littératures en Suisse romande (CLSR) et président de l’Association des Amis de Gustave Roud.
Vous avez repris la présidence de l’association des amis de Gustave Roud en 2017. Qui est cet écrivain et photographe et quel est le rôle de l’association ?
Gustave Roud (1897-1976) est un poète, également photographe, traducteur et critique. Auteur de dix recueils publiés de son vivant, il a marqué profondément la Suisse romande, dont il a été un des écrivains les plus importants au XXe siècle. Son œuvre lyrique se situe dans la lignée du romantisme, et se caractérise par la quête du paradis à travers la rencontre des êtres et des choses de ce monde, avec lesquels le poète dialogue. Roud a énormément écrit pour la presse et les revues, il a traduit de l’allemand et de l’italien, et a aussi tenu un journal. Ami de C. F. Ramuz et de René Auberjonois, il a exercé une influence majeure sur des écrivains tels que Philippe Jaccottet, Maurice Chappaz et Jacques Chessex, entre autres. Le talent de Roud est aujourd’hui largement reconnu au-delà des frontières suisses, notamment grâce à Jaccottet et à son entrée dans la collection Poésie / Gallimard.
L’Association des Amis de Gustave Roud est l’ayant droit du poète. Elle a été créée en 1977 et travaille à faire connaître et aimer Roud auprès d’un public aussi vaste que possible.
Depuis deux semaines, l’œuvre de Gustave Roud est disponible dans une nouvelle édition sous la direction de Daniel Maggetti et de Claire Jaquier. La version papier sera complétée par une édition en ligne qui sera publiée bientôt sur le site web de l’UNIL. Que peuvent attendre les personnes intéressées par ces deux publications et en quoi sont-elles complémentaires ?
Avec cette publication, c’est le vœu de Roud lui-même qui est exaucé, puisqu’il souhaitait rassembler son œuvre, non seulement poétique, mais aussi de critique et de traduction. Le public découvrira enfin l’écriture roudienne dans sa totalité et la diversité de ses déclinaisons. L’accompagnement critique situe les textes dans leur époque et en retrace la genèse, permettant au lecteur de comprendre la dynamique si particulière de l’écriture roudienne, à la fois rhapsodique et resserrée autour de quelques nœuds thématiques et stylistiques. Quant au site « Gustave Roud. Textes & Archives », il donne accès aux manuscrits de l’œuvre, aux textes des dix recueils, à une riche documentation photographique, ainsi qu’à des visualisations des genèses des recueils, sous forme de constellations s’inspirant des cartes célestes. Le site se distingue des volumes publiés en version papier, en cela qu’il se veut moins un moyen de lecture qu’un outil d’exploration de l’œuvre, pour les spécialistes et les amateurs. Et il est bien sûr appelé à se développer, au fil des recherches en cours.
Parmi les 11’000 clichés du fonds photographique, est-ce qu’il y a un qui raconte une histoire particulièrement intéressante à vos yeux ?
Difficile de choisir parmi tant d’images. L’image choisie pour illustrer cet article ne présente qu’un des aspects de la richesse de ce fonds. À mes yeux, elle révèle quelque chose de fondamental dans la pratique photographique de Roud : le voici qui assiste à une scène d’intérieur, dans une ferme, tandis qu’un paysan est en plein travail, occupé à tresser une corbeille. La présence du chat, la décoration de la paroi derrière lui, tout contribue à créer une atmosphère d’intimité, au sein de laquelle l’imagier a trouvé sa place, comme un témoin silencieux, et pourtant bien présent, ne serait-ce que par les regards que lui jettent l’homme comme l’animal.
Entre 2008 et 2016, le fonds photographique déposé à la BCUL a fait l’objet d’une restauration et d’une numérisation soutenues par Memoriav. Maintenant, les images sont disponibles dans la base de données Patrinum. Quelle vision sur l’histoire culturelle de son époque nous permet le regard sur cette œuvre photographique ?
L’œuvre photographique de Roud est un autre versant de son univers personnel, complémentaire de l’œuvre poétique. On y retrouve les mêmes lieux, les mêmes personnages et le même regard, qu’il soit désirant ou inspiré. Mais c’est évidemment un médium qui obéit à des contraintes et à des protocoles tout à fait différents – voire opposés – à celles et ceux de l’écriture poétique. La faculté de représentation du réel propre à l’image photographique confère à cet ensemble une valeur exceptionnelle. En plus de restituer le monde et l’œil de Roud, il témoigne d’un monde aujourd’hui presque disparu – celui de l’agriculture traditionnelle et des villages ruraux d’avant les trente glorieuses. Rares ont été les photographes à capter au quotidien le monde paysan, et plus rares encore sont ceux qui en sont issus, ainsi que l’était Gustave Roud. D’une certaine manière, on pourrait dire qu’avec ses photographies, le poète s’est fait historien et ethnographe malgré lui.
Les numérisations du fonds photographique Gustave Roud/Subilia déposé au service des Manuscrits de la BCUL est accessible sur Patrinum, l’inventaire du fonds littéraire qui se trouve au Centre de littératures en Suisse romande peut être consulté sur Phébus.